Rencontre avec James Mercer, l'âme de The Shins, pour discuter d'Heartworms, leur cinquième album et la trajectoire du groupe depuis 20 ans.
Cinq ans que les Shins avaient disparu, ou plutôt, que James Mercer n’était pas revenu sous ce nom avec un nouvel album. Ce nom c’est celui du groupe qu’il a fondé il y a 20 ans, puis disloqué, et dont il reste le seul membre immuable. Après une première grosse rupture entre les troisième et quatrième album, les membres du groupe ont encore changé pour Heartworms, cinquième album de The Shins dans les bacs le 10 mars. James Mercer n’a pas inventé le concept du groupe à géométrie variable et dont seul le fondateur reste tout du long, avant lui Mark Oliver Everett avec Eels, James Murphy avec LCD Soundsystem, Anthony Gonzalez avec M83 l’ont fait sans que l’on ne s’en émeuve outre mesure. Mais chez l’américain cette idée de vrai-faux groupe est moins assumée, comme si le fait de le reconnaître risquait de faire peser un poids supplémentaire sur lui. James Mercer ne cache en effet pas sa nature anxieuse, même si lorsque nous l’avons rencontré, à Paris à son hôtel fin janvier, c’est détendu et disert qu’il a répondu à nos questions. Rencontre avec l’âme tourmentée des Shins.
europe2.fr : Cinq ans ont passé entre la sortie de Port of Morrow et celle de Heartworms, comment appréhendes-tu ce retour avec les Shins ?
James Mercer : “ Je ne suis pas encore inquiet pour le moment, je suis assez confiant concernant l’album, je suis même plutôt excité en fait ! J’ai hâte de parler d’Heartworms avec les gens et surtout de partir en tournée avec les nouveaux membres du groupe. “
A la sortie de Port of Morrow tu plaisantais sur le fait que tu ne laisserais plus passer cinq ans entre deux albums et puis finalement …
“ Mon dieu, j’ai dit ça ? Pourtant, j’ai vraiment essayé, l’album était presque prêt en juin donc je pensais le sortir en septembre… Mais en même temps je pense qu’on m’aurait quand même dit “ ça fait quatre ans mec !” (rires) Non mais c’est juste la vie, j’ai fait un autre album avec Broken Bells [son side project avec Dangermouse, NDLR], on est parti en tournée, et puis j’ai eu un bébé et encore un bébé (rires) “
Il y a eu plusieurs rumeurs entourant le délai de l’album d’ailleurs, que s’est-il vraiment passé ?
“ Mon management pensait que si l’album sortait l’année précédent un festival comme Coachella, celui-ci serait moins intéressé de nous programmer que si on venait juste de sortir le truc. C’est une des raisons pour lesquelles ça a été repoussé mais ils n’ont pas été très contents quand je l’ai dit (rires) Mais de toute façon j’ai utilisé le temps du délai pour tripatouiller les chansons, continuer à bosser dessus. En fin de compte, j’ai utilisé tout ce temps pour rendre l’album meilleur ! “
Finalement vous n’êtes même pas à Coachella d’ailleurs !
“ En plus en festival, on ne sait pas vraiment quoi faire. On essaye de jouer nos chansons plus dynamiques mais quand tu es un membre des Shins en festival c’est vraiment très drôle ! On entend un groupe, dont on a jamais entendu parler, souvent de l’électro, et le public est en délire et nous pendant ce temps on est là “Oh merde on va jouer après ça !? On va jouer de la musique conçue pour être écoutée sur un disque dans ta chambre en fumant de l’herbe après eux ?!” Mais bon on aime bien jouer en festival quand même, on en a fait un à Paris qui était super cool il y a quelques année, un des meilleurs qu’on ait fait ! »
Rock en Seine ?
“ Oui c’est ça, c’était super. Le festival n’est pas trop grand et la façon dont ils traitent les artistes est tellement adorable, ils sont super gentils !”
Cela fait 20 ans que tu écris et composes, tu dois avoir établi une certaine mécanique de travail, quelle est-elle ?
“ Le matin, je bois mon café, je m’assois avec ma guitare, je fais ça [il prend sa guitare et gratte quelques accords] et puis je me dis “ Oh c’est quoi ça ? Quelque chose de cool est en train de se passer !” Voilà, j’attends juste que quelque chose de cool se passe. Je commence comme ça et j’essaye d’y mettre une mélodie, et si je trouve quelque chose qui vaut le coup, je l’enregistre sur mon téléphone, je le nomme et je le laisse de côté. Je fais ça constamment et quand il est enfin temps d’en faire vraiment une chanson, j’y retourne, j’écoute ce truc qui peut dater de deux semaines. J’essaye d’en retirer ce qui est vraiment original et ensuite j’essaye d’écrire un refrain, ou si ce que j’ai écrit est déjà un refrain, j’essaye de trouver un couplet, et je construis petit à petit comme ça.”
Pour Heartworms tu as choisi de retourner à l’auto-production, ce qui n’était pas arrivé depuis Oh Inverted World, votre premier album, pourquoi ?
“ Quand je suis tout seul en studio, j’ai tendance à être plus créatif parce que personne ne m’attend, ces moments en solo sont très importants. J’ai toujours eu besoin d’être seul pendant un long moment en studio pour chaque album que j’ai fait. Je vais être du genre à consulter le manuel du synthé pendant longtemps, j’essaye de comprendre comment ça fonctionne, clairement je ne peux pas le faire quand quelqu’un attend.”
Tu es le seul membre immuable des Shins, tu n’as jamais songé à te lancer dans une carrière solo sous ton propre nom ?
“ Mon manager m’avait suggéré de chanter et de tourner en tant que James Mercer suite à la rupture avec les autres membres du groupe [ après Wincing The Night Away, NDLR ] mais ce n’était pas possible pour moi. J’aime l’esthétique qui accompagne la notion de groupe, cette idée d’un projet réunissant des gens qui travaillent ensemble. C’est vraiment ce qu’on a fait pour cet album, on l’a fait ensemble, on joue ensemble, c’est pas juste moi ! J’ai grandi en aimant des groupes, je savais que je voulais faire partie d’un groupe et puis finalement je suis dans… (rires ) non non c’est un groupe, c’est juste qu’il faut le penser différemment, peut être comme un collectif…”
Comment as-tu constitué le nouveau groupe qui a travaillé sur Heartworms et avec qui tu vas partir en tournée ?
“ Mon pote Chris Funk de The Decemberists m’a recommandé Patti King, qui joue du violon et du piano, c’est une fille de Portland aussi. On a traîné un peu ensemble, elle était cool, sympa talentueuse donc je l’ai pris, on a pas fait de véritable audition. Jon Sortland, je bossais avec lui sur Broken Bells, on est devenu très ami donc il m’a rejoint sur les Shins pour jouer de la batterie. A nos côtés il y aussi Casey Foubert à la guitare qui a beaucoup travaillé avec Sufjan Stevens. Yukkie Matthews, qui vient de Crystal Skulls, lui est là depuis l’album précédent”
Tu as expliqué que tu avais envie que cet album soit un reflet des premiers albums des Shins et en même temps quelque chose de très différent, qui change, c’est assez contradictoire, non ?
“ C’est vrai (rires) si tu prends Cherry Hearts par exemple quand j’ai commencé à bosser dessus cela commençait vraiment comme une chanson des Shins qu’on aurait pu trouver sur Oh Inverted World. Je me suis alors dit “non je n’ai pas envie de ça” et j’ai préféré commencer à tripatouiller le synthé et voilà comment je me suis retrouvé à me plonger dans le manuel. ”
Port of Morrow était un album très personnel, un peu sombre, Heartworms semble plus aéré, plus jovial…
“ J’ai beaucoup moins mis de ma propre personne dans Heartworms, il y a plus de personnages de fiction même si je ne vous cache pas que je me suis quand même pas mal inspiré de gens que je connaissais comme sur Rubber Ballz où un mec se fait mener par le bout du nez par sa copine, dans la chanson il doit tuer des gens pour elle mais je vous rassure j’ai forcé le trait “
Name For You est une belle chanson d’empowerment féminin, d’où vient cette envie d’écrire sur le sujet ?
“ Cette chanson est née après la lecture d’un article sur le slutshaming et toutes ces choses contradictoires qu’on impose aux femmes, et toujours uniquement pour le plaisir des hommes ! Il y a beaucoup trop de pression sur les femmes, et j’y pense d’autant plus que j’ai trois filles maintenant. Ce sont des personnes brillantes et tellement intelligentes, elles ont un potentiel incroyable et je veux qu’elles puissent avancer dans le monde en se sentant soutenues, leur montrer, modestement, que je sais ce qu’elles vont traverser. “
Pourquoi avoir choisi de garder So Far Now, qui est sortie il y a trois ans pour la Bande Originale de Le Rôle de Ma vie ( Zach Braff , sur l’album ?
“ Ça fait déjà trois ans ? En fait, on avait prévu quelques shows en septembre dernier, on pensait avoir fini l’album. J’ai réuni tout le monde pour préparer ces quelques shows et j’ai proposé qu’on joue So Far Now. Ils ne l’avaient jamais entendue et ils m’ont dit “mais cette chanson est géniale, c’est la meilleure, pourquoi tu ne la mets pas sur l’album ?” Je les ai écoutés et voilà comment elle s’est retrouvée là ! “
Est ce que vous avez d’ailleurs conscience que nombre de vos fans autour de la trentaine vous ont connu grâce à un autre film de Zach Braff, Garden State ?
“ Bien sûr que je le sais ! Le film est sorti au moment où on avait fini la tournée pour notre deuxième album, Chutes To Narrow, il était temps qu’on aille écrire Wincing The Night Away. Mais après la sortie du film, tout d’un coup quelques universités ont voulu qu’on aille jouer pour leurs étudiants, on était soudainement devenu super populaire auprès de cette classe d’âge ! “
Il y a d’ailleurs un épisode de Gilmore Girls où on vous voit jouer devant des jeunes pendant une soirée de Spring Break !
“ Ahah oui on faisait alors vraiment partie de la pop culture ! Ça a vraiment été un gros changement pour nous cette période, on a quitté notre petit van pour prendre un gros bus tour comme des rock stars grâce à Garden State, ce film a vraiment tout changé pour nous ! “
Wincing The Night Away fête ses 10 ans, vous gardez un souvenir particulier de cet album ?
“ Oui, il est un peu spécial parce que le groupe a complètement changé depuis (longue pause ) Oh Inverted World est arrivé très facilement, grâce aux quelques chansons que j’avais postées sur Napster, c’est comme ça que j’ai été signé. Mais ensuite pour Chutes To Narrow j’avais l’impression d’avoir un flingue sur la tempe, il fallait que je fasse la suite vite et bien, que ce soit cool, ça m’a beaucoup stressé. Depuis ils ont tous été plus stressant les uns que les autres, mais j’imagine que c’est comme ça une fois que tu rencontres un certain succès, tu dois toujours faire mieux sinon tu as l’impression d’avoir échoué…”
Tout à l’heure tu nous as pourtant dit que tu n’étais pas encore inquiet, pour le moment, concernant Heartworms …
“ (rires) J’ai abandonné tout espoir d’avoir un succès plus large en fait, je ne pense pas que cet album va atteindre plus de gens que Port of Morrow donc j’espère juste que lorsque l’on va présenter l’album sur scène, on va réussir à créer les mêmes souvenirs auprès des fans. Qu’il y aura encore des gens pour me dire “ j’ai rencontré ma femme à l’un de vos concerts”, ce genre de petites choses mignonnes et encourageantes. On va jouer des concerts devant des milliers de gens, j’espère donc simplement qu’on va passer du bon temps sur la route, tous ensemble ! “
Propos recueillis par Nadia Neghyef pour europe2.fr