Avant 2012, Elizabeth Woolridge Grant était déjà une artiste depuis plusieurs années. Avant Born to Die et le tube Video Games qui marque le début de la (vraie) carrière de Lana Del Rey, l’Américaine a fait ses gammes en sortant notamment deux albums — dont un sous le nom de May Jailer — et quelques EPs.
Mais avec Video Games puis Born to Die, tout change en l’espace de quelques mois. Le monde découvre alors une jeune femme qui a look d’une icône sixties et qui, à travers sa musique, réussit à évoquer des sentiments, des lieux, des images voire même des scènes très précises en tête, comme si on assistait à vieux film hollywoodien.
Dans la musique de Lana Del Rey, il y a une grande classe, une grandiloquence assumée et une ode aux grands chanteurs américains (Sinatra, Elvis, Roy Orbison, etc.) qui ne peut vous laisser indifférent. Le succès est immédiat : Lana passe d’une jeune fille qui enregistre des vidéos chez elle en mode DIY à une future grande star. Forcément, ses premiers ne sont pas assurés, comme ses premières prestations à la télévision ou sur scène. Mais en coulisses, il y a des fans. On dit même que Lou Reed souhaiterait produire son prochain album Ultraviolence.
Dès les premières notes de Cruel World, un titre ultra-cinématographique, Lana Del Rey impose son style et donne le ton. L’amour avec un grand A et toutes les émotions les plus folles associées à ce sentiment seront sa principale source d’inspiration pour écrire l’album (la haine, la peur, la dépendance, la joie, la tristesse, la folie, la violence, etc.). Elle image ces émotions avec d’autres références, comme la drogue, les armes à feu, l’alcool, la bible. Une manière d’élever son écriture au niveau supérieur afin d’insister sur la grandeur des sentiments évoqués. Elle rend hommage aux écrivains de la Beat Generation, comme Kerouac, Ginsberg, ou William S. Burroughs, dont elle puise une partie de son imaginaire.
L’album, produit par plusieurs producteurs dont Dan Auerbach des Black Keys ou encore Greg Kurstin, est difficile à classer dans une catégorie précise. Il y a des touches de soft-rock, de dream-pop, d’indie rock et de folk. Ultraviolence est minimaliste, précieux, et pyramidal. C’est un album qu’on pourrait écouter dans un bar lounge où les lumières sont tamisées et où les verres de whisky sont apportés par des serveurs en costume. Un album qui vous place dans une salle obscure où un vieux film en noir et blanc est projeté sur l’écran. Et où tous les personnages ont quelque chose qui cloche chez eux.
Bad Girls
Malgré la qualité de l’album et de sa production, la critique est dure envers Lana Del Rey. On l’accuse de glorifier les violences conjugales et certains journalistes ne comprennent pas l’engouement autour de son art et ses références parfois crues au sexe, à la drogue et à la violence. On l’autorise quand c’est un homme qui en parle, mais pas une femme, même en 2014. Mais en abordant ces thèmes frontalement dans sa musique, Lana Del Rey devient aussi un symbole et une icône. Dans ses chansons, les femmes sont des prostitués amoureuses de leurs clients (Sad Girl), elles acceptent des violences physiques (Ultraviolence), elles se dévouent à des toxicomanes (Pretty When I Cry) ou elles sont décrites comme des « bitch » cupides. Ultraviolence, c’est un peu un gros doigt d’honneur à ceux qui ne croient pas en elle et à l’image que doit renvoyer une popstar et une femme dans la société. Elizabeth Woolridge Grant est bien une star, mais sombre, avec des lunettes noires pour cacher ses excès de la veille et l’envie d’en découdre et de tout détruire — notamment les clichés et les idées reçues — pour mieux reconstruire.
Dix ans plus tard, et même si Ultraviolence n’est pas son meilleur album, l’impact de ce disque sur la nouvelle génération a été immense. Halsey, Billie Eilish — qui a chanté avec Lana à Coachella cette année, Charli XCX, Lorde ou Sky Ferreira sont toutes des pures produits issus de l’usine Lana Del Rey. Et elles peuvent la remercier d’avoir ouvert la voie.