Le musicien et producteur américain, connu pour son travail avec Nirvana, les Pixies ou encore PJ Harvey, est décédé d’une crise cardiaque le 7 mai à l’âge de 61 ans.
« Recorded by Steve Albini ». Cette mention, que l’on retrouve sur les disques produits par l’Américain, était devenue au fil du temps un gage de qualité. Une phrase courte, simple et directe pour mentionner que le producteur — un terme qu’il n’a jamais apprécié — était aux manettes des chansons que vous alliez écouter. Et cette mention s’est, en effet, retrouvée sur de nombreux albums, dont certains, majeurs, ont marqué l’histoire du rock : In Utero de Nirvana (1993), Surfer Rosa des Pixies (1989), Rid of Me de PJ Harvey ou encore Pod des Breeders (1990).
The Breeders are mourning the sudden passing of Steve Albini. He built worlds.
Britt, Tanya, Josephine, Kim, Kelley, Jim, Mando, Jose and Richard. pic.twitter.com/GE3ZuFB1zM
— theBreeders (@thebreeders) May 8, 2024
Les Ramones
Le jeune Steve découvre la musique avec un groupe, les Ramones. Une révélation pour le natif de Missoula dans le Montana qui commence alors une éducation musicale à base de Sex Pistols, de Devo, de Suicide, de Killing Joke et plus généralement de punk-rock des années 70’s et 80’s. Lors de ses études en journalisme à Chicago, il pense un temps à devenir journaliste dans la musique. Il intègre aussi la radio de son université et se fait tirer les oreilles car il joue de la musique punk dès le matin. Un bon réveil.
Mais à force d’écouter de la musique, Steve a l’envie de faire comme ses idoles : prendre une guitare et faire rugir sa colère à travers une six cordes mal accordée. Le projet DIY Big Black débute ainsi en 1981, avec Steve aux manettes qui enregistre ses démos sur un magnétophone accompagné d’une boîte à rythmes. Un premier jet viscéral, vicieux et électronique où Steve Albini raconte ses névroses et tous les maux malsains de la société américaine. Avec Big Black, l’Américain sort deux albums. Steve veut lancer un autre projet qu’il nomme Rapeman (« le violeur » en VF) mais l’histoire l’emmène vers d’autres horizons : la production d’albums.
La méthode Albini
C’est grâce à son travail de producteur que Steve Albini va gagner une belle réputation. Au début avec des groupes comme Slint ou The Jesus Lizard mais surtout avec un premier gros coup, Surfer Rosa des Pixies. Un disque enregistré en dix jours en 1987 sur lequel on retrouve des tubes comme Where is my Mind, et sur lequel on retrouve la patte du producteur, dévoué à retranscrire de manière fidèle le son des formations avec lesquelles il travaille.
Indépendant et honnête, Albini applique une méthode qui consiste donc à bosser rapidement, avec efficacité, sans chichi et en mettant l’accent sur l’aspect live et notamment la batterie. « Si l’enregistrement prend beaucoup de temps et que tout le monde est déçu et scrute chaque étape, alors les enregistrements ne ressemblent guère au groupe live et le résultat final est rarement flatteur », avait déclaré Steve Albini. Une méthode qui fonctionne à merveille sur des disques comme Pod des Breeders ou Goat des Jesus Lizard.
Steve Albini. pic.twitter.com/DzYjvJykdx
— Nirvana (@Nirvana) May 9, 2024
Et aussi, forcément, sur In Utero de Nirvana. Même si son travail a été remixé sur les singles Heart-Shaped Box et All Apologies avant la sortie de l’album, il aura été un personnage clef dans la transformation de Nirvana post-Nevermind qui voulait revenir à un son beaucoup plus brut, punk et surtout moins pop.
Avant d’entrer en studio, Albini avait rédigé un manifeste de quatre pages destiné au groupe ; « Je pense que la meilleure chose que vous puissiez faire à ce moment de votre carrière est de pondre un disque en quelques jours avec une production de haute qualité, mais minimale et sans interférence ». Et c’est exactement ce qu’ont fait Kurt Cobain et sa bande.
Led Zep et Shellac
En 1995, Albini, qui a lancé un nouveau groupe baptisé Shellac, ouvre aussi ses propres studios : Electrical Audio. Il jongle alors entre son groupe — une formation avec un batteur extraordinaire qui évitera toute sa carrière la facilité — et son métier de producteur pour lequel il est désormais reconnu. D’ailleurs, dans sa quête d’honnêteté, l’homme refuse de prendre des royalties sur les ventes des albums. Il considère qu’une fois son boulot terminé, il doit certes être rémunéré, mais simplement pour son boulot. Le reste appartient aux musiciens.
Steve Albini n’est pas un producteur star : son adresse mail est disponible en quelques clics, tout comme son numéro de téléphone. En résumé : il est au service de la musique, et surtout des musiciens : « Au fil du temps, l’embauche d’Albini est devenue un moyen pour les artistes de signaler leur volonté de sonner « plus vrai » – et au-delà, de paraître plus honnêtes et plus purs, surtout s’ils produisaient leur album sur un grand label », écrit le Guardian dans cet article.
Ils ont été nombreux à « embaucher » Albini pour avoir son tampon sur leur disque : The Wedding Present, PJ Harvey, Low, Cloud Nothings, Jon Spencer Blues Explosion, Ty Segall, The Cribs, Mogwai, Sunn O))) ou encore Joanna Newsom. La liste est longue puisque l’homme a produit plus de 1000 disques. En 1997, même les anciens Led Zeppelin, Jimmy Page et Robert Plant, qui étaient fans, ont fait appel aux services de Steve Albini au moment d’enregistrer un album à deux (Walking Into Clarksdale, 1998)
Si l’Américain a continué d’enregistrer des albums avec son groupe Shellac tout en travaillant avec des nouveaux musiciens (Cloud Nothings, Metz, The Cribs, Joanna Newsom, Ty Segall), son œuvre est, et restera associée aux années 90.
Sa mort, le 7 mai 2024, a été encaissée comme un choc. Déjà parce qu’il n’était pas si vieux (61 ans) et surtout parce qu’un nouvel album de Shellac, intitulé To All Trains, doit sortir le 17 mai. Une tournée était même prévue pour célébrer le retour du groupe. Avec la mort Steve Albini, Shellac, et le rock en général, sont orphelins.