Qu’ont en commun des tubes comme Black Hole Sun (Soundgarden), Come out and play (The Offspring), All that she wants (Ace of Base) ou encore Zombie (The Cranberries) ? Réponse : ils sont tous sortis en 1994. Mais si vous cherchez l’hymne ultime représentant cette année-là, le choix est évident : c’est le Loser de Beck.
Le titre est extrait de son troisième, Mellow Gold. Certainement l’un des albums à la fois les plus bizarres et le plus rentables de l’histoire, pour la simple et bonne raison que personne ne s’attendait à ce qu’il devienne un carton commercial.
Beck était pauvre, Loser l’a rendu riche
Pour comprendre comment Loser s’est imposé comme l’un des tubes des années 90, il faut directement remonter dans l’enfance de Beck Hansen. Ses parents, artistes tous les deux, ne roulent pas sur l’or. Sa mère, notamment, a grandi dans la mythique Factory d’Andy Warhol, un endroit rempli de hippies et de drogues où l’on n’aurait pas idée de déposer un enfant. Voilà pourquoi, surement, le jeune Beck est rapidement trimballé d’un endroit à l’autre de la planète, de Los Angeles à l’Europe, chez un grand-père à l’origine du Fluxus, un autre mouvement artistique bien barré dans l’avant-garde.
« Quand j’ai écrit Loser, je ne pensais pas que ça allait devenir un hit. C’était juste une chanson qui reflétait ce que je ressentais à l’époque. » (Beck)
Alors qu’il a 10 ans, Beck doit supporter le divorce de ses parents. Retour à Los Angeles où il tombe dans le hip-hop et la musique latine. A 16 ans, il devient un musicien de rue et galère dans des jobs étudiants tout en continuant de jouer ses drôles de chansons dans des cafés ou des bars alors même que Nirvana est en train d’exploser. Pour lui, c’est plutôt mal barré : ses deux premiers albums ont complètement raté le coche. Et puis vient ce titre médiocre selon Beck, pressé à 500 copies en single, qui sort discrètement en 1993. Personne n’y croit, sauf quelques radios de Los Angeles. Et c’est là que le miracle se produit.
1 million de copies vendues aux USA
Placé en première position sur le troisième album « Mellow Gold », Loser devient rapidement l’hymne désabusé d’une génération qui ne croit plus en rien, déjà biberonnée aux tubes nihilistes de Nirvana et bientôt au Creep de Radiohead. Entre les deux, il y aura donc ce tube inattendu de Beck mélangeant toutes ses obsessions : rock, hip-hop, country et blues. Banco pour Beck : rien qu’aux Etats-Unis, l’album s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Tout cela grâce à un énorme coup de bol : Beck était loin d’imaginer que le titre deviendrait un carton, et c’est certainement cette approche nonchalante qui a contribué à faire de Loser un véritable phénomène culturel pour une génération.
Devenu malgré lui une icône MTV, Beck devient alors une superstar du cool, et ce en dépit du fait que Mellow Gold ne contienne absolument aucun autre tube du niveau de Loser. L’album, pensé comme une véritable expérience sonore, navigue entre des morceaux intimes et introspectifs, et il faudra attendre l’album Odelay en 1996 pour retrouver un titre aussi fort. Ce sera Where It’s At.
Toujours aussi fort 30 ans après
En réécoutant Loser 30 ans après sa sortie, on est toujours autant bluffé par son côté intemporel. C’est parce que Beck avait beaucoup galéré pour arriver à l’année 1994 que ce tube qui lui colle à la peau reste aussi moderne. La preuve, c’est qu’il influencera une scène indépendante, à commencer par un certain Jack White qui déclarera plus tard :
« Beck a ouvert la voie à tant d’artistes en montrant qu’il était possible de mélanger différents genres de manière authentique et innovante. Mellow Gold a été une révélation pour moi et pour beaucoup d’autres. »
Par la suite, Beck publiera évidemment d’autres albums, des très bons et des moins marquants, jusqu’au très correct Hyperspace en 2019. Depuis, c’est un peu silence radio. Quand opèrera-t-il son come-beck ? Mystère. Une chose est sûre en tout cas : Loser est depuis longtemps devenu le titre préféré des perdants qui gagnent à la fin. Un peu comme Beck, finalement.