Lorsqu’on nous a proposé une interview avec Jean Michel Jarre, ce n’est non sans une pointe d’appréhension que nous avons accepté l’entretien. Il faut dire que l’artiste a bien cinquante ans de carrière derrière lui, plus de 80 millions de disques vendus, plusieurs records à son actif et il est considéré comme l’un des pères fondateurs de la musique électronique. De quoi impressionner n’importe qui en fait. On s’est donc rendu à son studio à Bougival dans le 78, légèrement anxieux mais très excité à l’idée de rencontrer une légende pareille. Jean Michel nous accueille au sein même du studio où a été enregistré Oxygene. Vous savez, ce disque sorti en 1976 qui s’est écoulé à plus de 18 millions d’exemplaires dans le monde, considéré encore aujourd’hui comme l’un des meilleurs disques de tous les temps. Après lui avoir demandé si on peut le tutoyer (« Bien sûr, ce sera plus simple ! »), on commence l’entretien par l’interroger sur son état d’esprit avant la sortie de son album Electronica 1 – The Time Machine, son plus gros projet jusqu’à présent, qu’il a mis près de quatre ans à produire. « Je me sens un peu schizo à vrai dire. À l’heure où je te parle, la première partie est terminée et va sortir le 16 octobre, mais en même temps je suis en train de mixer et terminer la seconde partie qui sort début avril 2016 », confie-t-il. L’ensemble du projet Electronica regroupe 30 pistes et deux heures de musique, bien trop longues pour tenir sur un seul et même disque, du coup deux parties vont sortir à tour de rôle. « Un peu comme Kill Bill 1 et 2, ici on a Electronica 1 et 2. »
« J’ai été très touché de la manière dont les artistes m’ont ouvert leurs portes »
« Ce projet était un rêve, celui de collaborer avec des gens qui sont une source d’inspiration pour moi, appartenant à la scène électronique sur à peu près quatre décennies. Quand j’ai lancé les invitations aux gens, tout le monde a dit oui. » Parmi les invités de ce premier opus, on retrouve des noms aussi divers que prestigieux, tels que Boys Noize, M83, AIR, Little Boots, Gesaffelstein, Tangerine Dream ou encore Lang Lang pour ne citer qu’eux. « La mode est au featuring en ce moment, on envoie un fichier à quelqu’un qu’on ne rencontrera jamais, qui pose sa voix ou une ligne mélodique. C’est souvent pour avoir le nom ou pour des raisons de marketing. Mais là, il s’agissait de quelque chose de complètement différent. Il s’agissait de travailler, de se déplacer, d’aller mélanger nos ADN de manière réelle et partager du temps avec des gens avec qui je voulais collaborer. » Au delà de la collaboration, c’était comme « un voyage initiatique » pour Jean-Michel : « J’ai été très touché de la manière dont les gens m’ont ouvert leurs portes et partagé leurs secrets, leurs tics, leurs tocs, leurs points faibles qu’on a plutôt envie de garder pour soi. On se sent assez vulnérable dans ces moments là. »
« On écoutera encore Gesaffelstein dans vingt ans »
L’artiste revient ensuite avec nous sur quelques uns de ses choix : « Je voulais montrer à travers Electronica l’intemporalité de la musique électronique. Il y a derrière chaque collaboration une raison en terme de musique, de son et d’inspiration. M83 pour cet espèce de côté Pink Floyd, sombre et proche des longues plages que je peux faire. Tangerine Dream qui ont commencé quasiment au même moment que moi. Little Boots que j’ai découvert sur internet parce qu’elle jouait de la harpe laser. C’est une vrai geek et musicienne accomplie avec ce côté électro pop british que j’avais envie d’intégrer dans le projet. Boys Noize, une figure emblématique de la techno berlinoise aux casquettes aussi multiples que paradoxales. Gesaffelstein, un Lyonnais comme moi, au style très intemporel qu’on écoutera encore dans vingt ans. » Mais ce n’est pas parce que Jarre a cette impressionnante carrière derrière, que ces artistes issus de plusieurs générations n’ont rien eu à lui apporter : « Ils m’ont chacun appris quelque chose. Chacun travaille de façon différente et en confrontant nos différentes approches de la musique, on apprend beaucoup. Moby par exemple, il travaille dans une section qu’il remplit en boucle avant de passer à la suivante. Moi je travaille une piste du début à la fin, puis je monte la deuxième piste comme un mille feuille. On a tous notre technique. »
« Un concert, c’est une histoire entre deux entités : la scène et le public »
Jean Michel Jarre est le détenteur du plus grand concert jamais réalisé, à Moscou en 1997, devant une foule de 3,5 millions de personnes. Évidemment on devait l’interroger à ce sujet : « La musique avait été interdite durant un long moment en Russie, au moment de l’union Soviétique. Elle symbolisait l’évasion et la liberté. Ma musique a été piratée et diffusée partout, du coup il y a vraiment eu une attente du public russe. Quand j’ai donné ce concert en extérieur, les gens ont tous voulu venir et je me suis retrouvé devant cette foule incroyable. C’était complètement inoubliable. Mais après je me suis rendu compte que quelque soit la taille du public, finalement un concert c’est une histoire entre deux entités, la scène d’un côté et le public de l’autre. Quelque soit la taille du public, ça fonctionne ou pas, mais c’est à peu près pareil en fait. » Et si c’était à refaire ? « Ce genre de projet, on ne les décide pas. Ce sont des choses qu’on m’ont été proposées par des villes ou des pays. Pour l’instant je suis plutôt branché festival et tournée mais le projet de scène que j’ai en tête pourrait s’appliquer complètement à des choses plus grandes. Si l’occasion se présente de nouveau, je serais très heureux de le refaire. »
« La musique électronique est intemporelle »
Le compositeur de 67 ans nous révèle qu’un live est en préparation et une tournée devrait débuter en avril prochain. « Apparemment, il est question de faire Coachella », nous avoue-t-il. Mais Jean-Michel ne veut pas trop encore y penser, il est encore sur la finition de la seconde partie d’Electronica. « Ça me fait un peu peur à vrai dire, je suis vraiment entrain de terminer la partie 2 de cette album et je veux m’y consacrer totalement. » Chaque chose en son temps oui, et en attendant il nous invite à écouter Electronica : Partie 1 disponible dès aujourd’hui en téléchargement légal et dans tous les points de vente habituels. « La musique électronique a quelque chose de particulier, elle est intemporelle. Il y a ce va et vient entre les différentes générations. Ce croisement inter-générationnel, Electronica le porte. Tous les gens qui s’intéressent à la musique et à la musique électronique devrait être intéressés par Electronica car il y a aussi ce côté exploration En écoutant une de mes collaborations avec un artiste, vous pourrez faire la connaissance d’un autre. Cela va bien avec l’air du temps parce qu’on a envie de partir à la découverte de ce qu’on ne connaît pas. » Pour aller plus loin, retrouvez Jean Michel Jarre à la Gaité Lyrique le 17 novembre prochain dans le cadre de la Red Bull Music Academy Paris pour une Conversation Spéciale dont les places seront bientôt mises en vente par ici.