Julien Doré: « Monter sur scène, c’est l’incarnation de la liberté. » (Interview)

Trois ans après le succès de « LØVE », Julien Doré est de retour avec un quatrième opus, intitulé « & ». europe2.fr est allé à la rencontre de cet artiste énigmatique afin d’en apprendre un peu plus sur la genèse de ses nouvelles chansons.

C’est assez troublant de se retrouver face à Julien Doré. C’est inspirant, aussi. Si son regard ne croise que très rarement les yeux de son interlocuteur, ses réponses sont à son image : poétiques, réfléchies, et surtout sincères. Quelques semaines après la sortie de son nouvel album &, nous l’avons rencontré pour parler de musique, et puis de la vie aussi. Parce que cet album, Julien Doré l’a composé pour pouvoir respirer un peu mieux dans un monde de plus en plus brumeux. Treize nouvelles chansons, des mélodies pétillantes et des textes mélancoliques, que le chanteur a enregistrés dans un chalet en pleine montagne. Nouveau projet, mais aussi nouvelle tournée. Bientôt, les chansons de l’album prendront enfin vie sur scène et rien que d’en parler, Julien Doré a les yeux qui pétillent. Rencontre avec l’un des artistes les plus attachants de la scène française.

europe2.fr : Bonjour Julien ! Commençons par parler de ton nouvel album. Personnellement avant même de l’écouter, j’ai trouvé l’objet superbe. A l’heure de la dématérialisation de la musique, il est toujours aussi important pour toi, si ce n’est plus, de donner une vraie identité visuelle à ton album ?

Julien Doré : Je pense qu’il y a deux voies possibles. Soit effectivement on décide d’aller dans le sens de l’époque qui est de condamner l’objet qui enveloppe la musique et de le voir disparaitre, soit on propose des objets extrêmement beaux. Et c’est pour ça aussi que le vinyle a eu un regain de santé. Il reste encore, quand on aime la musique, l’envie parfois de posséder un bel objet qui l’accompagne. C’est pour cela que c’est effectivement très important pour moi, pour mes vinyles et mes disques, de les penser moi-même et d’être extrêmement présent sur chacune des étapes. Par exemple, j’ai passé un peu plus de quatre mois sur cet objet. Je voulais qu’on puisse retirer les photos, choisir soi-même la couverture, que le titre de mon album soit percé… Je suis très heureux que ces objets-là soient soignés avec autant d’ambition que mes chansons.

europe2.fr : J’ai vu dans le film qui accompagne l’album que tu avais des carnets remplis de dessins. Est-ce ta façon de procéder quand tu composes, tu dessines plus des images et des idées avant d’écrire des textes ?

Julien Doré : Oui en effet, c’est un peu les deux en même temps en fait. Souvent, les mots sont accompagnés d’un dessin, parfois même complétés d’un dessin avant que je trouve réellement les mots qui pourraient définir cette image que j’ai en tête. Et puis le dessin, c’était en moi bien avant la musique, depuis que je suis enfant. Alors c’est très important pour moi d’illustrer les choses que je vois avant de réussir à les transformer en mots.

europe2.fr : Tu étais parti dans le sud pour enregistrer l’album précédent. Pour travailler sur celui-ci, tu as quitté Paris pour Saint-Martin-Vésubie. Tu avais déjà écrit des chansons sur la tournée ou tout a été écrit là-bas ?

Julien Doré : L’album précédent c’était un peu différent, on était partis trois semaines dans le sud, mais dans un studio. Pour celui-là, c’est quasiment un an de voyages entre mes terres natales, la Camargue et les Cévennes, et ce chalet dans les Alpes. Sur la tournée, je n’avais pas vraiment réussi à composer, c’est à la fin de la tournée que j’ai commencé à écrire quelques bribes de choses, mais qui étaient très très loin d’être abouties. Et c’est vrai qu’en allant là-bas, en essayant de structurer un peu ce qui commençait à naitre avec mes musiciens, ça a aidé à débloquer beaucoup de choses et ça a donné naissance aux autres chansons, qui ont fini par nourrir le disque.

« Le point de départ, c’était de prendre de la distance. »

europe2.fr : Qu’est-ce que cela a apporté à ton travail d’écriture, à tes recherches sonores, de travailler dans un lieu disons un peu plus singulier ?

Julien Doré : Ce qui était complètement différent, c’était d’abord le fait d’enregistrer les instruments dans un chalet, dans un endroit fait de bois. Enregistrer les voix aussi, ça n’a rien à voir quand on enregistre dans le salon d’un chalet. C’est très particulier. Et puis aussi bien sûr, c’est une expérience différente pour l’écriture et la composition. Quand on écrit et qu’on compose en étant entouré de la nature et d’un environnement assez impressionnant, assez original, ça nourrit beaucoup de choses.

europe2.fr : On voit dans le film que cet album est notamment né grâce à beaucoup de jolies rencontres. Finalement même quand tu pars t’isoler dans des lieux un peu à l’écart, c’est l’autre et les relations aux autres qui t’inspirent ?

Julien Doré : Le point de départ, c’était de prendre de la distance. Une sorte de retraite en altitude par rapport à un monde assez brumeux qui m’a un peu donné envie de fuir. Et j’ai pris en retour le lien, l’humain, et ce qui est au centre de tout. C’est vrai que c’était assez délicieux de se faire surprendre comme ça. De réaliser que même en voulant être seul, finalement je ne supporte pas l’idée de ne pas être au contact des autres. Alors c’était très beau de me retrouver de cette façon là, justement avant de vivre une tournée. C’était très chouette de pouvoir prendre cette distance et d’être rattrapé par ce lien.

europe2.fr : Est-ce que revenir dans cet endroit c’était un moyen de renouer avec ton enfance ? Ou est-ce que maintenant tu portes un regard nouveau sur ce lieu dans lequel j’imagine, tu avais pas mal de souvenirs ?

Julien Doré : C’est vrai, mais je ne le mesurais pas trop. Effectivement, j’avais peut-être un peu coupé avec ce lieu-là, je n’y étais pas retourné depuis très longtemps et en même temps je l’ai vécu aussi d’une façon nouvelle parce que j’y faisais de nouvelles choses, j’écrivais des chansons. Alors je dirais que c’est un mélange des deux. C’était effectivement une manière de remonter un peu la rivière vers l’enfance et en même temps, de créer de nouvelles choses pour demain, en l’occurrence ce qui est devenu ces chansons et ce disque.

« J’ai aussi essayé de comprendre un peu ce que signifie être artiste aujourd’hui. »

europe2.fr : Tu as une anecdote à me raconter sur tous vos moments passés dans ce chalet, à enregistrer ?

Julien Doré : Il y en a tellement. Mais je pense que la plus juste des anecdotes, c’est le film que j’ai réalisé avec mon pote Brice. Parce qu’on voit que les moments passés là-bas, c’était beaucoup de sourires, beaucoup d’envie, beaucoup de plaisir. Sans voir le film, on peut se dire qu’il y a quelque chose d’un peu triste dans le fait de partir dans un chalet, de s’isoler pendant un an. Or, c’était toujours beaucoup de joie, beaucoup de plaisir, beaucoup de rires.

europe2.fr : Tu es parti là-bas en novembre 2015. Est-ce que c’était aussi une manière de déconnecter de l’angoisse ambiante qu’on ressentait partout à la télé et sur les réseaux sociaux ?

Julien Doré : Oui, mais j’ai aussi essayé de comprendre un peu ce que signifie être artiste aujourd’hui. Si on peut se sentir utile dans ce monde-là, le sens qu’a désormais le fait de monter sur scène. Et puis en effet, couper un peu les informations, déconnecter du monde médiatique qui est toujours lié à l’analyse des choses, ça fait aussi du bien parfois. Ça peut être assez important, justement pour nourrir les chansons d’une autre façon.

europe2.fr : Maintenant, on l’a vu avec ce qu’il s’est passé l’année dernière, monter sur scène est presque devenu un symbole de liberté…

Julien Doré : Monter sur scène, c’est l’incarnation de la liberté. Sauf qu’aujourd’hui, on ne peut plus le faire comme avant parce que c’est différent. Quand on monte sur scène, on suspend le temps avec des gens qui sont venus vous voir, avec qui vous avez un dialogue, un partage, et qui vous font confiance. Ce rapport à la scène est évidemment dans la tête de chaque artiste, de chaque comédien, de chaque personne qui monte sur scène et fait du spectacle vivant. Et ce rapport-là maintenant, est forcément différent. Chez moi, il a soulevé beaucoup de questions parce que c’était pile au moment où je venais de finir une tournée. Je pense que c’est dans le fait d’assumer cette liberté là qu’on devient très utile.

« Dans le temps de parole qui peut m’être donné, je préfère exprimer ma position, mon questionnement et mon aspiration à mieux. »

europe2.fr : J’ai l’impression que ton écriture est aujourd’hui plus directe que sur les albums précédents. Les chansons de ton premier album notamment, étaient très abstraites. Est-ce volontaire ou conscient, cette manière d’aller plus droit au but ?

Julien Doré : Non, je pense que c’est lié au fait d’écrire de plus en plus et surtout parce que j’écris mes albums seul maintenant. Avec un peu d’expérience, après quatre disques, j’arrive aujourd’hui à exprimer un peu plus directement les choses que je veux signifier, mais toujours en gardant une sorte de distance poétique, pour qu’on puisse se figurer plusieurs histoires. C’est important pour moi de ne pas être trop impudique avec les mots que j’utilise, avec les histoires dont je parle. J’ai besoin qu’il y ait cette distance poétique qui permet à celui qui l’écoute de se faire sa propre histoire et de se l’approprier. Et effectivement, il y a une différence aujourd’hui entre une chanson comme « Sublime & Silence », et des chansons très abstraites comme « Piano Lys » ou « Bouche Pute », que j’avais écrites et que j’aime beaucoup sur mon tout premier album. Donc je pense que le fait d’assumer aujourd’hui totalement l’écriture de mes disques m’a permis de soigner de plus en plus mes textes, et d’être de plus en plus en accord avec eux.

europe2.fr : A titre tout à fait personnel, mon coup de cœur sur l’album c’est « De Mes Sombres Archives ». C’est quoi l’histoire de cette chanson ?

Julien Doré : C’est une boucle, avec la première chanson de l’album « Porto Vecchio », et également avec la chanson « Le Lac ». Le titre parle mieux que moi en fait. C’est une façon de boucler les choses après avoir puisé dans mes sombres archives. C’est à dire construire les choses avec ce qui nous traverse, des choses qui font ce qu’on est, ce qu’on devient. C’est une chanson hyper atmosphérique, hyper hypnotique. C’est un regard sur ce qui arrive de potentiellement dramatique, violent, et en même temps ce qu’on peut aussi chasser en le décidant.

europe2.fr : Tes chansons parlent principalement d’amour. Mais que ce soit dans tes clips ou en interview, tu évoques souvent l’écologie, la protection des animaux, l’égalité des sexes… Tous ces sujets qui te tiennent à cœur, est-ce que ça ne pourrait pas faire de bons sujets de chansons, aussi ?

Julien Doré : Si bien sûr ! Mais je trouve qu’il est plutôt urgent d’en parler avant d’essayer d’en faire de la poésie. C’est trop tard pour ça, on n’a plus le temps. Dans le temps de parole qui peut m’être donné, je préfère exprimer ma position, mon questionnement et mon aspiration à mieux. L’être humain n’a toujours pas compris qu’il était une espèce parmi d’autres. Et en l’occurrence, les autres sont les animaux et ce qu’il en reste, malheureusement. Quand on remonte le fil de chaque chose dramatique concernant notre planète, la seule personne responsable est toujours l’être humain, qui est pourtant arrivé sur la Terre très tardivement. Donc je pense tout simplement que maintenant il est plus urgent d’en parler que d’en faire des rimes.

« Quand je suis sur scène, les chansons prennent une autre dimension, celle de l’instant. »

europe2.fr : En te voyant sur scène, j’ai été frappée par la différence entre les versions studios de tes chansons et les versions live. Est-ce l’énergie des concerts qui te donne envie d’avoir cette approche beaucoup plus rock ?

Julien Doré : Ce sont deux zones différentes pour moi. Oui c’est différent, mais sans être trop conscient, ça a toujours été comme ça. Le disque, je le soigne parce que j’ai envie de susurrer les chansons, j’ai envie qu’on se laisse envelopper par elles. Sur un album les chansons soignent, accompagnent. Un concert, tout se passe sur l’instant. Le rapport au disque est donc différent du rapport à un concert. Quand je suis sur scène, les chansons prennent une autre dimension, celle de l’instant. C’est le prolongement de la vie des chansons parce que les choses se libèrent, elles sont plus brutes, plus radicales. Et sur le disque, je prends le temps de soigner les choses, d’y trouver une enveloppe qui sera pour moi suffisamment douce et belle pour accompagner mes mots.

europe2.fr : Tes spectacles racontent une histoire. Ta dernière tournée notamment était assez théâtrale. Où puises-tu l’inspiration pour mettre en scène tes concerts ?

Julien Doré : En effet, il a quelque chose d’assez théâtral dans mes spectacles, en plusieurs actes. Là, je ne travaille pas encore sur la mise en scène du prochain, mais c’est vrai que j’aime bien mettre en scène tout seul mes spectacles, les imaginer et les penser un peu comme une pièce de théâtre. Les idées viennent souvent des chansons, des déplacements. Je m’imagine l’espace aussi. Ça peut venir d’une scène de film, de quelque chose que j’aurais pu voir au théâtre ou d’une vidéo d’art. Ce qui est assez chouette c’est que c’est théâtral, poétique, et en même temps très ouvert. C’est entre le show et la pièce de théâtre, et c’est ça que j’aime bien. C’est cette fragilité là qui m’intéresse.

europe2.fr : Est-ce que tu as un concert qui t’as particulièrement marqué, un artiste qui t’as inspiré scéniquement ?

Julien Doré : Malheureusement je vais très peu aux concerts en fait. J’avais envie de faire de la musique mais la scène, c’est toujours surprenant pour moi. Je pense même que ceux qui m’ont inspirés, c’est plutôt des acteurs, des gens qui ont la capacité de capter l’attention en une fraction de seconde en s’exprimant. Mais je n’ai personne de précis en tête. C’est un chemin un peu étrange, je rêvais de faire du dessin, et puis j’ai fait de la musique en étant aux Beaux-Arts. J’ai été moi-même surpris par le premier concert que j’ai fait avec mon groupe Dig Up Elvis quand j’étais à Nîmes. Parce que j’ai pris la dimension de ce que c’était de chanter dans un micro, de jouer un truc, de présenter quelque chose aux gens. C’est là que j’ai pris conscience que c’était une place qui m’intéressait.

« Si on créé en pensant au fait de savoir si ça va réussir ou rater, alors on est déjà perdu au moment de la création. »

europe2.fr : Tu fêtes bientôt tes 10 ans de carrière. Ton plus beau souvenir et ton moins bon ?

Julien Doré : Je pense qu’il ne faut pas attacher trop d’importance à la chose qui peut vous abimer, de la même façon qu’il ne faut pas donner trop d’intérêt aux choses qui pourraient souligner une autosatisfaction. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce que je rate ou ce que je réussis, c’est le fait de tenter des choses. Tant qu’il y a l’énergie et l’intention de faire, je ne m’intéresse pas trop à ce qui va être raté ou réussi. C’est très important parce que c’est justement là que ça se situe. Si on créé en pensant au fait de savoir si ça va réussir ou rater, alors on est déjà perdu au moment de la création. Et encore plus sur scène d’ailleurs, je pense. Quand on est sur scène, il ne faut pas prévoir les choses. Il faut évidemment travailler, mais il ne faut pas décider soi-même de la destination de ce que l’on propose. Sinon, on travestit son propos et on travestit justement la chance qu’on a d’être libre.

europe2.fr : Pour finir, une question qu’on ne te pose jamais mais à laquelle tu voudrais répondre ?

Julien Doré : Je me pose déjà beaucoup de questions tout seul ! Je mesure cette chance que j’ai, qu’on me pose des questions sur ce que je fais. Et ça c’est une grande chance. Donc en souhaiter d’autres, ce serait extrêmement prétentieux de ma part. Et en plus d’avoir le privilège de faire la musique, j’ai aussi l’immense chance que l’on m’écoute. Aujourd’hui c’est rare et je ne veux pas gâcher ça.

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