« All you need is… Love ». C’est avec une phrase lourde de sens que Lana Del Rey a choisi d’introduire son nouvel album, Lust For Life, pour tous ceux qui feront l’effort d’ouvrir les premières pages du livret qui l’accompagne. Plus souriante que jamais sur la pochette officielle, l’artiste qui passe toutes ses nuits au Château Marmont semble vouloir nous dire quelque chose, avec son air malicieux. Dès le départ, les fans – à qui elle dédie ce quatrième album – se sont doutés que le contenu serait différent de son précédent projet (Honeymoon, 2015). Effectivement, Lust For Life sonne comme un retour triomphal pour Lana Del Rey qui a traversé pas mal d’épreuves depuis la sortie de son premier single-buzz « Video Games » en 2011. Dans cet album, composé de 16 pistes cohérentes, qu’on pourrait séparer en deux parties distinctes, Lana Del Rey innove et sort de sa routine, tout en revenant à certaines sources qui nous manquaient du chef-d’oeuvre Born To Die. Prêts ? Notre critique de l’album, c’est tout de suite !
Étrange comme une chanson peut parfois prendre tout son sens une fois mise dans le contexte d’un album. C’est exactement le cas de « Love » qui amorce l’heure et les douze minutes de plaisir que Lana Del Rey nous offre avec Lust For Life. Très vite, le titre éponyme en duo avec The Weeknd prend le relai et c’est loin d’être la seule collaboration de ce projet. Jusqu’à maintenant, la chanteuse mystérieuse se la jouait en solo mais cette fois, elle a décidé de casser tous ses codes pour puiser dans l’aura de ces invités autant qu’eux ont réussi à s’imprégner de son univers, si singulier. Une très bonne idée en somme, loin des featuring insipides aux fins mercantiles qui squattent (malheureusement) trop souvent les sommets des charts. The Weeknd, A$AP Rocky, Playboi Carti, Stevie Nicks, Sean Ono Lennon… Sans oublier les producteurs les plus pointus du game, tous ont contribué à cette épopée musicale passionnante.
Après s’être plongé dans les seize pistes de Lust For Life, le constat est le suivant : Lana Del Rey semble avoir trouvé une sorte de paix intérieure et sa place dans le monde (« Love », « 13 Beaches », « When The World Was At War We Kept Dancing »), maintenant qu’elle le voit tel qu’il est avec ses qualités et ses défauts (« Coachella – Woodstock In My Mind » ). Que ses fidèles se rassurent, les thèmes qui lui sont chers depuis toujours sont bien là eux-aussi : amours déçus, des hommes qui la malmènent, le côté sombre de la célébrité… L’imaginaire et la poésie de Lana Del Rey sont intacts, même si pour la première fois de sa carrière elle n’hésite pas à aborder de nombreux sujets d’actualité. Dans l’inquiétant et lancinant « Cherry », on sent que ses démons ne sont jamais très loin. On aime quand Lana Del Rey joue la groupie ingénue (« White Mustang », « Groupie Love ») mais on la préfère en femme fatale avec « In My Feelings » dans laquelle elle incendie un ex-boyfriend qui l’aurait trompé : le rappeur G-Eazy d’après cette vidéo. Au lieu de jouer la victime comme dans des titres plus anciens, dans cet album, la plupart des histoires se finissent bien pour elle.
Si récemment elle déclarait ne plus vouloir utiliser le drapeau américain comme fierté à cause de l’élection de Donald Trump, Lana Del Rey ne renie pas pour autant sa patrie, et sa passion pour la Californie – propice à ses rêveries mystiques – reste inchangée depuis « Summertime Sadness ». Les références à son pays sont nombreuses (« God Bless America », « Coachella », « White Mustang ») et c’est toujours un plaisir de retrouver la qualité constante de son écriture et son champ lexical auquel on s’est habitués ces dernières années, comme si l’on suivait les mêmes personnages, dans de nouvelles histoires. Dans la même humeur que « High By The Beach », l’un des meilleurs morceaux de l’album est « Summer Bummer », sur lequel Lana est en roue libre en mode hip-hop avec son ami de longue date A$AP Rocky et Playboi-Carti, le tout produit par Boi-1da incontournable du genre aux US. Avec ce seul titre, deux atouts de Lana Del Rey sont réunis : sa voix incroyable qu’elle module et expérimente au fil du temps (écoutez les « back vocals » qui démarrent vers le milieu de « Summer Bummer« ) et sa désinvolture captivante.
Avec « Coachella – Woodstock In My Mind », l’artiste avait déjà amorcé un esprit politisé qu’on retrouve tout au long de l’album. Liberté, égalité, fraternité… Finalement elle aurait très bien pu être Française. Avec des titres comme celui-ci ou « When The World Was At War We Kept Dancing », elle fait passer des messages politiques en douceur, là où Katy Pery a totalement échoué avec son dernier album Witness qui était censé être de la « purposeful pop ». Dans Lust For Life, Lana Del Rey n’a jamais été aussi actuelle. Pièce centrale de l’album, « God Bless America – And All The Beautiful Women In It » délivre aussi un message fort de féminisme, avant même que les Women’s March n’aient lieu plus tôt dans l’année. Avec ses faux airs de « Chiquitita » d’ABBA lors des premières secondes, cette chanson est notre gros coup de cœur de Lust For Life. Produit par Metro Boomin (Future, Drake, The Weeknd…), cet hymne patriotique dépeint à la fois la beauté et les travers de l’Amérique (on adore les coups de feu subtils pendant le refrain) tout comme les deux pistes suivantes qui marchent sous la forme d’une trilogie.
Une des collaborations les plus attendues, celle avec Stevie Nicks, la légende, réveille forcément tout notre amour pour la chanteuse charismatique de Fleetwood Mac. « Beautiful People Beautiful Problems » est une ballade au piano magistrale (qui rappelle « Black Beauty ») dans laquelle les deux prêtresses nous rappellent qu’on est simplement humains, avec des problèmes qu’on peut toujours surmonter. L’union de leur voix… Incroyable ! Merci au producteur Rick Nowels d’avoir réuni sa vieille amie Stevie avec Lana Del Rey, aucun fan n’aurait osé rêver ce duo avant qu’il n’existe. Belle complicité également avec Sean Ono Lennon sur « Tomorrow Never Came » qui sonne comme une revisite de « Something In The Way She Moves » des Beatles. Le très angoissant « Heroin », le philosophique « Change » (avec ses airs de « Bel Air » et des débuts de Lizzy Grant) où l’artiste se parle à elle-même et prend du recul sur les dernières années de sa vie, l’envoûtant « Get Free » qui sample malgré lui « Creep » de Radiohead jusqu’à l’arrivée du refrain, cette dernière trilogie clôture Lust For Life à la perfection.
Avec ce quatrième album, Lana Del Rey semble avoir délaissé quelque peu ses vieux rêves hollywoodiens pour construire à son tour sa propre légende en 2017. Au niveau de l’écriture ici, la pop star est plus alerte et éveillée que sur l’intégralité de sa discographie. Entre les racines de Born To Die et la mélancolie lascive Ultraviolence au niveau de la production, les mélodies sont remplies de grâce et complexes juste comme il faut. On était restés sur notre faim avec Honeymoon, assez précipité et bâclé ; à nouveau Lana Del Rey offre un disque solide qui prouve qu’en 2017 elle peut encore être la reine de la pop, du côté sombre. Lust For Life peut se scinder en deux avec au centre « God Bless America – And All The Beautiful Women In It » qui fait la jonction entre les deux univers : certains prods sont très riches et rappellent Born To Die où l’artiste s’aventure sur des terrains très pop et hip-hop alors que l’autre partie, beaucoup plus organique et abstraite, entre folk et quasi americana, nous berce volontiers grâce à sa voix. Lust For Life est une réussite totale, un disque royal et mûri, où son interprète se veut toujours aussi captivante et magnétique.