Les albums visuels, le futur de la musique ?

2016, plus que toute autre année, semble avoir confirmé que l’évolution de la musique actuelle se trouve du côté de la vidéo. De Beyoncé à The Weeknd en passant par Tove Lo et Florence + The Machine la mode des albums visuels n’a jamais été aussi forte.

Video Killed The Radio Star chantaient The Buggles il y a déjà 37 ans. Une chanson au titre prophétique, dont le clip sera d’ailleurs le premier à être diffusé sur MTV en 1981. 35 ans plus tard, les chaînes dédiées au clip se sont multipliées, et les statistiques de You Tube sont largement dominées par des vidéos musicales (l’intégralité du top 5 actuel). Si certains clips parresseux se contentent d’illustrer de manière sommaire les paroles d’une chanson, le format reste tout de même propice à la recherche et à l’innovation. De nombreux artistes profitent de la vidéo pour approfondir leur univers musical. A leur service, des réalisateurs spécialistes du vidéo clip comme Melina Matsoukas, Joseph Kahn, Mathew Cullen, Colin Tilley ou encore Director X. Ces dernières années, les désirs de vidéos musicales se sont exacerbés permettant à la tendance des albums visuels de s’installer doucement mais sûrement.

Beyoncé est certainement l’une des artistes mainstream les plus rompus à cet exercice. Il y a presque 10 ans elle sortait B’Day Anthology Album, un album vidéo regroupant les clips des treize chansons de son album B’Day sortis quelques mois plus tôt. Rebelote en 2013, avec Beyoncé un cinquième album studio dont chaque chanson est accompagnée de son propre clip vidéo. Lemonade pousse le curseur plus loin puisque l’album se dévoile d’abord dans un film d’une heure, diffusé sur HBO et qui se découpe en 11 chapitres pour créer une véritable unité narrative. L’évolution du visuel album est intéressante chez Beyoncé, dans un premier temps Queen Bey souhaite que ses vidéos ait chacune une identité propre avant d’assumer un véritable parti pris filmique et de penser sa musique comme un seul et même film.

Beyoncé n’a cependant rien inventé, même si son impact sur le phénomène est certain, c’est avec les Beatles que naît l’ancêtre du visual album. En 1964, en parallèle de l’album A Hard Day’s Night sort un film éponyme où l’on peut suivre les tribulations des Fab Four dans Londres. Toutes les chansons de la side one de l’album sont inclues dans le film. En France, Serge Gainsbourg sort en 1971 Histoire de Melody Nelson un concept album qui sera mis en scène dans une vidéo, mi clip mi film musical. Plus récemment les Daft Punk ont sorti Interstella 5555 un film d’animation de science fiction inspiré par l’esthétique du culte Albator et constitué de l’intégralité de l’album Discovery. En 2013 Lana Del Rey sortait Tropico. Un short film de 27 minutes mettant en scène trois chansons de son EP Paradise et l’inédit Tropico. Lana y joue Eve et le mannequin Shaun Ross joue Adam. Le tout dans une vision très personnelle du jardin d’eden… Avant elle, Kanye West, connu pour son esprit visionnaire (et mégalo), avait eu envie de faire un album visuel de la totalité de son album My Beautiful Darked Twisted Fantasy mais son entourage lui avait recommandé de privilégier un court-métrage. Intitulé Runaway, cette oeuvre de 34 minutes contient des extraits de huit chansons de l’album, elle est réalisée par le chanteur et met en scène une relation entre un homme et une femme phoenix.

En novembre 2015, avec Purpose The Movement, Justin Bieber se distingue de la majorité des artistes qui tiennent à se mettre en scène dans des vidéos très esthétisantes. Le moyen métrage de 42 minutes met la danse à l’honneur. C’est la chorégraphe Parris Goebel qui a été approchée par le manager de Bieber pour chapeauter le projet. La néo-zélandaise a expliqué qu’on lui avait laissé carte blanche pour mettre en scène les 13 vidéos. Il ne lui a fallu que trois semaines pour créer les chorés et réunir une équipe de danseurs afin d’illustrer la diversité de la danse. L’occasion pour l’artiste de présenter une série de danses, très influencées par le hip hop, à une audience mainstream. Mais le projet aura également frustré les fans, déçus de ne pas retrouver le Biebs dans chacun des clips…

L’année 2016 semble être le point culminant du visual album. Après Beyoncé en avril, il y a eu Endless de Frank Ocean en août. Un cas assez particulier puisqu’il s’agit d’un album vidéo permettant surtout à l’artiste de se débarrasser de son contrat avec Def Jam plutôt que de penser une narration complexe. Néanmoins en se filmant en train de construire un escalier, l’artiste file la métaphore de la création laborieuse. Tove Lo est quant à elle partie pour une mise en scène totale de son album actuel et du suivant. Le court métrage Fairy Dust réuni les six premières chanson de son album Lady Wood. La cohérence narrative entre les chansons qui s’enchaînent est encore plus visible que chez Beyoncé. La chanteuse a d’ailleurs annoncé que la deuxième chapitre, Fire Fade, réunirait la seconde moitié de son album, il est attendu pour début 2017. Le successeur de Lady Wood sera lui aussi constitué de deux chapitres vidéo, intitulés Pitch Black et Light Beam. Florence + The Machine a également sorti en avril The Odyssey, un film de 40 minutes réunissant les clips tournés pour accompagner l’album How Big, How Blue, How Beautiful. Du lien a été crée entre chaque clip avec des scènes parlées et chantées. A noter que cette année, l’actrice chanteuse Keke Palmer a elle aussi publié un visual EP intitulée Lauren et que Drake a proposé le court-métrage Please Forgive Me (composé de plusieurs chansons de son album Views) en exclusivité sur Apple Music.

The Weeknd a toujours fait preuve d’un sens cinématographique développé. En 2013 le chanteur se met en scène caméra à la main dans le clip de Twenty Eight, les clips très soignés visuellement qui suivent, de Pretty à Tell Your Friends en passant par In The Night jusqu’à False Alarm et sa mise en scène façon jeu vidéo FPS, confirment un goût pour le clip en tant qu’oeuvre d’art. Avec MANIA, court-métrage sorti deux jours avant l’album Starboy, le canadien fait un beau cadeau à ses fans et s’offrent un ultime kiff perso : 12 minutes d’images surléchées où l’on entend plusieurs des titres extraits du nouvel album. En choisissant de dévoiler seulement un mini film pour accompagner l’album, The Weeknd fait un choix pertinent. A l’inverse d’une Beyoncé qui tient avec Lemonade un véritable concept album qui reflète les différentes épreuves intimes vécues par l’artiste cette année, sa relation tumultueuse avec Jay Z mais également son rapport avec le mouvement Black Lives Matter, Starboy est un album plus dense dont les titres s’imbriquent plus artificiellement. Pour garder ses lettres de noblesse le visual album a donc tout intérêt à rester une exception…

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