En 2013, une tendance est apparue, et elle a choqué de nombreux adultes. Le “slow listening”, qui consistait à écouter des albums en entier, redonnait ses lettres de noblesses à la musique pour une nouvelle génération ultra-connectée qui ne prenait plus le temps d’écouter des disques en intégralité comme leurs parents. La question : pourquoi les jeunes n’écoutent justement plus la musique de la même manière ? Plusieurs éléments de réponse. Et non, ce n’est pas uniquement parce que les gens ont moins le temps d’écouter leurs chansons préférées.
Capter l’attention rapidement
Commençons avec la démocratisation du streaming, un usage qui a chamboulé notre rapport à la musique. En ligne, une chanson est comptabilisée comme “une vente” si l’auditeur écoute au moins 30 secondes d’un morceau. Pour capter l’attention rapidement et faire en sorte qu’une personne aille au bout d’un titre, les artistes ont raccourci leurs compositions, notamment leurs intro. Selon une analyse du média Quartz, entre 2013 et 2018, le durée des tubes du Billboard Hot 100 aux États-Unis avait diminué de 20 secondes, passant de 3 minutes 50 en moyenne à 3 minutes 30.
« Depuis 1990, la durée moyenne d’une chanson du Billboard Hot 100 est passée de plus de quatre minutes à environ trois minutes, quel que soit le genre. »
“Le modèle de paiement des plateformes de streaming incite également les artistes à créer des chansons plus courtes. Les chansons plus courtes encouragent les réécoutes, et plus d’écoutes signifient plus de revenus”, peut-on lire dans un article du Washington Post sur ce sujet. Comme les morceaux possèdent des structures plus simples et directes, le pont musical (la section qui se situe généralement entre le refrain et le couplet et qui sert de transition entre les parties principales) a tendance à disparaître. La raison principale : il rallonge un morceau.
Dans une interview pour The Verge, Charli XCX était revenue en 2019 d’intégrer le streaming dans sa manière de composer en intégrant : « Si j’écris une chanson pour un grand nom de la pop, il faut que le refrain arrive dans les 30 premières secondes. Ça veut dire : pas de longue intro ». Selon Billboard, la proportion de hits de moins de trois minutes dans le top 10 a explosé, passant de 4 % en 2016 à 38 % en 2022.
Un effet TikTok
Interrogée par le Washington Post, Nuri Taylor, auteure-compositrice, explique aussi que les réseaux sociaux ont un rôle dans le raccourcissement des morceaux. “La durée d’attention pour tout type de divertissement a beaucoup changé. Les gens sont intéressés pendant deux minutes, puis ils veulent passer à autre chose – la prochaine chanson, la prochaine vidéo, le prochain TikTok. Il s’agit d’un défilement constant.”
« Si vous allez dans un club et que vous regardez les gens danser, vous verrez qu’ils ne dansent que sur les 15 secondes d’une chanson célèbre sur TikTok ».
Pour s’adapter à ses nouveaux usages, les artistes pop ont continué d’écourter leurs morceaux, espérant trouver un écho sur ces réseaux sociaux. Même s’il y a toujours eu des chansons courtes dans l’histoire de la musique (White Riot des Clash, Alisson des Pixies, Lazy On a Sunday Afternoon de Queen ou encore Judy is a Punk des Ramones), il y a peut-être un lien entre les succès récents des tubes comme Poland de Lil Yachty (1min23), Old Town Road de Lil Nas X (1min53), Barbie World de Nicki Minaj et Ice Spice (1min49) ou encore Kill Bill de SZA (2min33) et les nouvelles manières de consommer la musique.
Mais il y a un revers à la médaille. En 2022, l’un des titres de Steve Lacy, Bad Habit, cartonne sur TikTok. Enfin, seulement un passage de 20 secondes de la chanson, utilisé en boucle par les utilisateurs pour créer des “reels”. Résultat : à ses concerts, les fans ne chantaient que cette partie mais ne connaissaient pas le reste du tube… Un constat partagé par le producteur et DJ Kuya Magik, interrogé par Billboard : « Si vous allez dans un club et que vous regardez les gens danser, vous verrez qu’ils ne dansent que sur les 15 secondes d’une chanson célèbre sur TikTok. Pour le reste, ils restent assis.”
Une tendance de fond
L’évolution des usages est visible dans de nombreux styles musicaux, mais surtout chez les artistes les plus populaires. Le Washington Post a comparé la durée moyenne des albums Speak Now (2010) de Taylor Swift et Lover (2019). En neuf ans, les chansons se sont réduites de 1 minute et 21 secondes, passant de 4 min 47 en moyenne sur Speak Now à 3 min 26 sur Lover.
Plus globalement, les chansons de Nicki Minaj, de Kanye West, de Kendrick Lamar ou encore de Drake se sont, en moyenne, toutes raccourcies sur les dernières années, comme le montre Quartz. Cela ne veut pas dire que tous les futurs albums finiront par faire une durée totale de 22 minutes et que les tubes devront absolument faire moins de deux minutes pour espérer marcher. Mais la tendance est bel et bien à la baisse. Mais rassurez-vous : cela ne veut pas forcément dire que la qualité n’est plus au rendez-vous. Il suffit d’écouter Greedy de Tate McRae (2 min 11) ou Lovin on Me de Jack Harlow (2 min 18) pour se rendre compte que parfois, less is more.