Que vaut « Hit Me Hard and Soft », le nouvel album de Billie Eilish ?

Sur ce troisième album composé une fois de plus avec son frère Finneas, l’Américaine de 22 ans explore des thèmes comme la sexualité ou l’identité tout en oscillant entre la bedroom pop chuchotée, des singles évidents et des expérimentations capricieuses.

Il y a quelque chose de fascinant à l’écoute d’un nouvel album de Billie Eilish. Ce sentiment d’entrer dans un univers unique qu’elle aurait mis plusieurs années à décorer pièce par pièce pour créer l’illusion d’un monde réel qui en réalité n’existerait que dans sa tête. Comme si écouter Billie Eilish permettait d’être plongé dans un film qui raconterait sa vie, ses émotions, ses envies, ses rêves et ses déboires.

Sur Hit Me Hard and Soft, Billie Eilish parle beaucoup d’amour et de la spirale d’une relation : être amoureux, se poser mille questions, ne pas comprendre les émotions que l’on traverse, avoir envie de l’autre personne — sur Lunch elle raconte qu’elle a envie de manger tout cru une fille pour son déjeuner — mais aussi faire face à certaines désillusions (ne pas être aimée en retour, avoir l’impression que l’autre nous échappe, etc.). Elle aborde ces thèmes-là au fil de l’album, sur Skinny — une balade toute douce en compagnie d’un quatuor à cordes —, sur Lunch et sa boîte à rythmes distordue et sur Chihiro, l’un des premiers moments forts du disque avec une ambiance à la Billie Eilish : minimaliste et aérienne avec une dose de synthpop futuriste. Avec les deux titres suivants, Birds of a Feather et Wildflower, Billie poursuit son délire de pop moderne, puisant dans les années 80 et misant sur la puissance subtile de sa voix pour tenir l’auditeur en haleine. Sur la face A, celle qui a déjà remporté neuf Grammy Awards à seulement 22 ans prouve qu’elle peut naviguer dans plusieurs styles sans se noyer, contrairement à ce qu’on voit sur la pochette de son album.

La suite de Hit Me Hard and Soft est, disons, plus aventureuse. Notamment sur L’Amour de ma Vie, une chanson de rupture qui démarre avec tous les éléments qu’on adore chez l’Américaine (voix maitrisée qui fait le grand huit, mélodie au piano subtile et arrangements raffinés) avant de s’enfoncer dans une hyperpop redondante à la 100 Gecs. The Diner, avec des accents de reggae sombre, cherche à recréer l’esprit du premier album sans vraiment réussir à faire mouche. Mais heureusement que Bittersuite est là pour nous rattraper. Un morceau qui, là encore, change de variation, prend des voies sans issue et roule à contre-sens sur l’autoroute, mais qui s’écoute comme un film, avec ses rebondissements, un énième amour impossible et une outro synthpop ensorcelante.

L’album se termine sur Blue — d’où la couleur de la pochette —, une composition qui comme les précédentes joue avec les mélodies, le rythme et les conventions pop trop formatées pour créer comme plusieurs moments au sein d’une même chanson. Comme sur Skinny, les cordes à la fin ajoutent à l’atmosphère théâtrale.

Hit Me Hard and Soft est peut-être l’album le moins accessible de Billie Eilish, qui semble parfois paumée entre ses envies musicales expérimentales et l’idée de garder en tête des structures pop conventionnelles. Malheureusement, quand l’Américaine ose prendre des risques, le pari n’est pas toujours gagnant, et les morceaux les plus aventureux peuvent finir par perdre l’auditeur. Mais cette prise de risque reste minime, et les chansons les plus abouties du disque sont extrêmement jouissives à réécouter et à décortiquer. Comme sur les autres albums, la production millimétrée sur la voix de l’Américaine est spectaculaire. Une voix qui devrait nous accompagner encore de nombreuses années.

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