Back to 1993. Le grunge perd petit à petit en puissance aux États-Unis, porté depuis trois ans par le succès immense de Nirvana. En Grande-Bretagne, de nouveaux groupes commencent à faire beaucoup de bruit, Blur et Oasis en tête. Et en Californie, des jeunes punks aux dents plus longues qu’ils ne le laissent paraître se font un nom dans la scène locale : Green Day.
Les membres se sont rencontrés quand ils étaient adolescents et ils ont déjà deux albums à leur actif. Sauf que cette année-là, en 1993, les choses se bousculent pour Billie Joe Armstrong et sa bande. Plusieurs labels sont intéressés pour les signer. Les garçons se retrouvent donc à la table des négociations et choisissent de poursuivre l’aventure avec Reprise. La raison ? Ils s’entendent super bien avec Rob Cavallo qui travaille au sein du label, et qui produira le prochain album Dookie.
Une seule règle : être efficace
Même si Green Day est un jeune groupe – les membres ont tous la petite vingtaine à ce moment-là et certains n’ont pas encore l’âge légal de boire de l’alcool – les Américains savent exactement ce qu’ils veulent pour ce nouvel album sur un label d’envergure. Ils décident du studio dans lequel ils vont enregistrer (le Fantasy Studios) et se préparent en amont afin d’être prêt le jour J, histoire d’être le plus efficace possible. Entre septembre et octobre 1993, Green Day met en boîte Dookie aux côtés de Rob Cavallo dans un environnement pas très rock’n’roll puisque qu’ils travaillent de midi à minuit tous les jours comme des écoliers qui iraient sagement à l’école.
Pour Billie Joe Armstrong, qui souffre de problèmes liés à sa santé mentale, l’écriture est un moyen de faire face à ses difficultés, et de les adresser. C’est pourquoi les sujets des chansons de l’album sont variés et personnels : la masturbation (Longview), l’ennui, la bisexualité (Basket Case), l’anxiété ou encore la solitude. En deux mois l’album est terminé et petit fun fact : Billie a enregistré les voix en seulement deux jours. Quand on vous disait qu’ils voulaient être dans l’efficacité…
Ciao Nirvana, bonjour Green Day
L’album, qui devait s’appeler à l’origine Liquid Dookie en référence aux diarrhées que les membres du groupe avaient souvent en tournée (sympathique), se nomme finalement Dookie. Il sort le 1er février 1994. Si les ventes sont bonnes, le succès pointe le bout de son nez quand Green Day diffuse le clip de Longview sur MTV. À partir de là, tout s’accélère pour le groupe qui devient en quelque sorte les Clash et Sex Pistols de sa génération : plateaux de télévision, tournée à travers le monde, gros festivals. Green Day devient le phénomène du moment.
La formation devient surtout l’emblème d’une nouvelle génération blasée et biberonnée aux clips musicaux. Les thématiques abordées par les punk-rockeurs touchent une jeunesse en perte de repère qui se retrouve dans l’aspect rebelle du rock de Green Day. Le timing joue aussi en la faveur du groupe puisque Kurt Cobain décède le 5 avril 1994, deux mois après la sortie de Dookie. L’Amérique cherche alors un nouveau chouchou et Billie Joe Armstrong est le candidat parfait pour le remplacer.
Le punk rock devient pop
Green Day parvient même à s’inscrire dans un mouvement plus large, celui du rock alternatif, avec des groupes comme les Beastie Boys, les Smashing Pumpkins, les Breeders, Guided by Voices ou encore The Verve. Ils jouent d’ailleurs avec ces groupes sur la scène principale du festival Lollapalooza en 1994, preuve que Green Day n’est plus un outsider.
À cause de ce succès, les fans de la première heure leur tournent le dos. Pour eux, Green Day est devenu, en signant sur un gros label, un groupe mainstream. Les Américains ont beau dire qu’ils se sont inspirés de Black Sabbath et des Sex Pistols, le fait est que la formation n’a rien à voir avec ces groupes-là. Green Day transforme le punk en un mouvement pop et les vrais fan de style musical ne le supportent pas.
En 1995, Green Day remporte le Grammy du meilleur album de rock alternatif et Dookie s’est depuis vendu à plus de 20 millions d’exemplaires. Un album fédérateur qui a aussi lancé un mouvement plus large aux États-Unis avec des groupes comme Blink-182, Everclear, Sum 41 ou encore Fall Out Boy (c’est la génération American Pie). Sans Dookie, cette scène musicale n’aurait sûrement pas pris la même ampleur.
Trente ans plus tard, Green Day n’est pas qu’un souvenir d’une jeunesse lointaine. Le groupe a sorti un nouvel album Saviors en janvier 2024 avec Rob Cavallo de retour à la production. Comme si les Américains avaient, comme leurs fans, une pointe de nostalgie des années Dookie ? Ça pourrait bien être le cas.