À l'occasion de la sortie de leur nouvelle compilation SND.PE Vol.05, nous sommes allés à la rencontre de Teki Latex et Orgasmic, fondateurs du label Sound Pellegrino. Ils nous ont présenté leur nouveau projet, parlé de leurs débuts mais aussi donné leur regard avisé sur l'état de la musique actuelle. Interview avec deux piliers de l'électro en France.
Les anciens membres du groupe TTC, Teki Latex et Orgasmic, se sont convertis à la production et ont fondé le label Sound Pellegrino en 2009. Pour leur cinquième compilation, ils ont vu les choses en grand : 20 tracks pour la plus grosse sortie à ce jour du label. Un projet que Teki Latex présente : « D’un côté nous avons les titres purement mélodiques et sans beat inspirés par la trance déconstruite, le grime ethéré ou l’ambient comme le “Weir Skimmer” de Martel Ferdan, “Boy Racer” de Loom ou “Low Pressure” de Murlo. De l’autre les titres purement percussifs destinés à créer la tension mais aussi la colonne vertébrale de la compilation comme le « Drum Beat for Teki » d’Helix, “Levee Dancers” de Doline, “Temperance” de Fraxinus ou l’apparition de la légende de la scène vogue : Vjuan Allure et son « I am Delivert ». » Tout ce jargon ne vous dit pas grand chose ? On est allé à la rencontre du duo de producteurs, on a parlé du SND.PE Vol.05 bien sûr, de leurs débuts, des jeux vidéo et de la musique de manière générale puis on a cherché à comprendre cet univers qui n’est pas forcément familier à tous. Tout de suite, notre entretien de Teki Latex et Orgasmic du label Sound Pellegrino !
europe2.fr : Commençons par la genèse du label, comment s’est formé Sound Pellegrino ?
Teki Latex : Ça s’est monté il y a sept ans maintenant, en février. On avait un autre label avant, Institubes, qui existait un peu en parallèle avec le groupe de rap qu’on avait à l’époque TTC. Institubes servait un peu à sortir les projets de certains membres de TTC et est devenu un label à part entière au fil du temps, Sound Pellegrino a commencé en étant un sous label d’Institubes, dont la volonté était de revenir vers la musique de club et de faire des sorties plus régulières. À l’époque c’était du digital seulement, ça permettait de faire une sortie par semaine avec des artistes différents à chaque fois, pas forcément des gens qu’on développait au début. On pouvait aller voir tel artiste qu’on aimait bien et lui dire « fais nous un maxi pour notre label », ou on rencontrait un petit jeune et on lui demandait de faire un maxi chez nous puis il partait faire sa carrière ailleurs. C’est un peu comme ça que Sound Pellegrino a commencé. 7 ans après c’est devenu quelque chose de différent. Sound Pellegrino est devenu indépendant et tout comme nous en tant que DJ, c’est un label qui a musicalement évolué, d’un truc house, tech house, vers un truc plus compliqué que ça, plus hybride avec des choses un petit peu plus mutantes en terme de musique électronique. Aujourd’hui c’est plus difficile à expliquer qu’à l’époque…
VR.fr : Vous ne savez plus trop où vous vous situez sur la scène électro… ?
Teki Latex : Non, ce n’est pas ça, on sait désormais qu’on ne se situe pas dans un truc (rires)
VR.fr : Quels sont vos critères de sélection pour les artistes du label ? Vous marchez au coup de cœur ?
Teki Latex : Oui c’est plutôt des coups de cœur. On écoute des choses sur Soundcloud notamment, sur Bandcamp aussi mais de gens qui nous font passer des démos surtout. On est à l’écoute de ce que des DJ peuvent jouer, remarquer tel mec qui a joué tel truc… Ça c’est pour les gens qu’on signe sur Sound Pellegrino. Pour ce qui est de cette compilation qui vient de sortir, là on a commandé des morceaux qu’on aimait bien dans le but de faire ce mix. Le casting a été fait en fonction de ça. On a établi un certain nombre de contraintes au préalable et on a demandé aux artistes de s’y plier pour nous donner des morceaux qu’on va pouvoir mixer ensemble et qui vont correspondre à notre vision de ce qu’on avait envie de faire pour ce CD mixé. Ensuite on va voir des gens qui ont déjà travaillé avec nous ou qu’on aime beaucoup et on va leur dire ‘qu’est-ce que vous avez à nous proposer qui rentre dans ce truc là ?’ et si vous pouvez nous faire un morceau spécialement pour la compil, c’est encore mieux. Ce qu’on aime nous quand on mixe c’est superposer les morceaux et que ça s’emboite un peu comme dans un Tetris musical. Quand on avait un certain nombre de morceaux un peu plus rythmiques, on demandait pour compenser des morceaux plus mélodiques. On emboitait ces morceaux mélodiques et rythmiques ensemble pour donner ensuite une œuvre, celle de notre CD mixé. Notre compilation s’écoute avant tout comme un mix.
« Ce qu’on aime nous quand on mixe, c’est superposer les morceaux et que ça s’emboite un peu comme dans un Tetris musical. »
VR.fr : Quelle a été l’idée de SND.PE Vol.05 ?
Orgasmic : L’idée derrière tout ça, c’était que ça soit des pistes d’un long morceau d’une heure qu’on mélange ensemble.
Teki Latex : On voulait redonner au Dj une place de créateur, tout en jouant les morceaux des autres. Sans enlever son essence qui est de jouer des morceaux fait par d’autres gens et sans essayer de le transformer en une espèce de producteur. On a laissé au DJ sa fonction principale lui permettant de quand même créer quelque chose. Les gens peuvent s’amuser chez eux à donner leur version de leur compilation avec ces morceaux là en les mixant dans un autre ordre s’ils le veulent… Nous on a donné notre interprétation et on a assemblé cette pièce là comme un Lego. Regarde par exemple, tu peux faire un dinosaure avec les mêmes pièces de Lego qu’un vaisseau spatial.
« On voulait redonner au DJ une place de créateur. »
VR.fr : Vous définissez cette compil’ comme la plus grosse sortie de l’histoire du label, pourquoi ?
Orgasmic : Ah bon ? On a présenté ça comme ça ? Chaque sortie est la plus grosse du label ! Non c’est ambitieux peut-être parce que c’est la plus grosse en terme de nombre de morceaux, il y en a 20.
Teki Latex : Ça représente un peu moins d’une heure de musique quand tout est superposé et mixé, donc encore une fois faut l’interpréter comme un mix et ensuite quand tu mets les différents éléments bout à bout, ça fait 20 tracks mais ce n’était pas réfléchi. Il se trouve qu’on a eu besoin de 20 morceaux pour faire ce mix là. Encore une fois l’idée du mix est plus importante pour nous que la compilation de sélection de morceaux. Après chaque sortie est la plus importante pour nous, grosse ou non. Au final quand on veut parler de ce que ça va être la plus grosse sortie du label ça va être l’album de Matthias Zimmerman qui va être la première sortie d’album de Sound Pellegrino.
VR.fr : Ah, présentez moi donc un peu ce Matthias Zimmerman…
Orgasmic : C’est un allemand de 30 ans, dont on sort les EP depuis un certain temps. C’est le premier artiste qu’on a signé sur le label. On sorti un premier maxi de lui en 2011, et c’est quelqu’un qu’on développe depuis un certain temps.
Teki Latex : C’est un jeune homme qui est passé par plusieurs phases musicales, tout comme nous et beaucoup de gens dans la musique électronique, et cet album qu’il a fini pour nous, va essayer de retracer un peu toutes ces phases musicales et créer un lien entre elles pour le présenter. Un premier album, c’est toujours une manière de montrer toutes ses facettes. Cet album, ça va être ça, je suis assez fier de ce disque parce qu’on a pas l’impression que c’est un patchwork de choses complètement antinomiques, Matthias travaille avec une palette de sons qui sont très reconnaissables donc on sent sa touche sur des morceaux qui peuvent être aussi bien des featurings vocaux, des morceaux techno, qui ne sont rien d’autres que de la techno et qui sont faits pour être joués en club ou dans une rave à 5 heures du matin, que dans des morceaux bien plus funky, où les instruments sont autres. Il va toujours y avoir certains synthés, une palette de sons en commun à tous ces morceaux. Les gens qui suivent Matthias depuis ses débuts ne vont pas être déboussolés mais en même temps à chaque fois qu’il sort un disque, c’est quelque chose de nouveau. C’est un vrai disque qui raconte une histoire, il y a tout un concept derrière. Tous les titres de chacun de ses morceaux depuis qu’il a commence à faire de la musique sont des prénoms. Il considère ses morceaux comme des sortes de personnages qui dans sa tête habitent tous sur une île et dans sa tête, l’album c’est un peu cette île.
VR.fr : Pour quelqu’un qui n’est pas expert en électro, qu’est ce que vous aimeriez lui dire pour lui donner envie d’écouter SND.PE Vol.05 ?
Teki Latex : Moi j’aimerais dire que la musique électronique, c’est quelque chose de très varié. On a tendance à tout mettre dans le même panier, et à utiliser pour parler aux gens qui ne s’y connaissent pas le terme électro mais il faut savoir qu’il y a la house music, qu’avant ça il y a eu la disco, que la disco vient de la soul et que l’électro ne vient pas forcément de musiques qui étaient électroniques à une époque. Qu’il y a la techno, qu’aujourd’hui on parle beaucoup de techno en France et que c’est un terme qui est à la mode, c’est une musique qui est à la mode, ce qui se voit dans les festivals comme la Weather ou les soirées Concrete. La techno c’est une facette de la musique électronique aussi. L’EDM, aussi, de Guetta à Afro Jack en passant par Avicii. Nous le truc un petit peu délicat chez nous, c’est qu’on représente une franche très underground de cette musique là et un petit peu expérimentale. Mais ce n’est pas parce qu’on est underground et expérimentaux, que ce n’est pas de la musique dansable et de la musique ouverte au monde. C’est à dire que nous, quand on fait de la musique, on essaie de faire de la musique qui fera danser nos petits-enfants dans le futur, on essaie de faire de la musique qui se danse, qui va vers la simplicité. Il se trouve que parfois c’est tellement simple que ça en devient abstrait pour certaine personne mais il y a quand même un bon gros noyau de gens qui s’y intéressent dans tous les pays, ce qui nous permet de tourner pas mal. Moi j’étais aux Etats-Unis le mois dernier, on va au Japon et en Corée à la fin du mois, ce n’est pas un micro phénomène, c’est un phénomène qui est de niche mais qui est global. La musique qu’on fait se situe un peu entre les genres.
Orgasmic : Pour résumer, c’est de la musique qui est de club, qui est plutôt faite pour danser en club. Après elle s’inspire de plein de micro-scènes différentes en essayant d’en tirer l’essence et peut-être d’en faire une version futuriste. Ça peut être un morceau d’afro beat dont les gens vont essayer d’en faire une version différente faite par des européens, avec des influences plus techno donc ça va donner autre chose. On essaie de piocher parmi toutes ces micro-scènes qui font la palette de toute la dance music mais plutôt en regardant vers le futur.
« On essaie de faire de la musique qui fera danser nos petits-enfants dans le futur »
VR.fr : Vous en parliez tout à l’heure, la scène électro se démocratise beaucoup en ce moment, tout le monde se prétend un peu faire de l’électro… Vous êtes plutôt contents que les gens se mettent dans cette tendance ou vous le déplorez ?
Teki Latex : Nous aussi à une époque on s’est mis dans la tendance, avant on venait du rap. Faut bien commencer quelque part, on peut pas reprocher aux gens de s’intéresser aux choses, au contraire. Après c’est dans la manière peut-être de le faire. C’est valable pour tout dans la vie, si tu t’intéresses à quelque chose, il faut s’y intéresser à 100%, que ce soit la BD, la menuiserie ou la musique électronique… Si tu décides de t’y mettre, essaie de pas juste gratter la surface, essaie de t’y intéresser en profondeur, essaie de devenir un spécialiste dans tout ce que tu fais, de tout faire avec passion. Que ce soit la musique ou la cuisine, c’est pareil. Si tu t’intéresses à un genre, il faut l’approfondir.
Orgasmic : Maintenant il y a beaucoup de jeunes qui commencent avec une idée de carrière tout de suite, sans penser à la musique ils voient ça comme une espèce de job. Eux je pense qu’ils sont dans la mauvaise voie, qu’ils arrêtent tout de suite et qu’ils se consacrent à autre chose. C’est vrai qu’il y a de plus en plus de jeunes qui se mettent à faire ça et qui peut-être ont une vision… Je trouve ça un peu dommage peut-être ce que ça peut engendrer, que ça devienne vraiment un phénomène de masse…
VR.fr : Presque de mode, non ?
Orgasmic : Non de mode je pense pas, ça a toujours été à la mode.
Teki Latex : Regarde il y a 10 ans c’était Justice et compagnie, aujourd’hui Paul Ka… Il y a toujours un truc à la mode qui fait que les mecs vont ranger leur guitare et vont s’acheter une table de mixage.
Orgasmic : Mais là je trouve qu’on a quand même franchi un cap depuis un an. Je pense que la guitare ne reviendra jamais. Là où j’avais remarqué ça c’était à la fête de la musique, chez moi à Versailles, où justement ça a toujours été très rock, là il n’y a plus de groupe de rock. Depuis cet été il y a des DJ partout, les jeunes veulent être DJ ou rappeur. Moi je considère le rap comme de la musique électronique chantée. Le rap à présent est tellement auto tuné, même les voix sont bourrées d’effets, la bande son complètement électronique, il n’y a plus grand chose d’humains. Là on est arrivé à un point où c’est difficile de revenir en arrière.
Teki Latex : L’électro ce n’est pas une mode, c’est une musique omniprésente aujourd’hui et comme dans toutes les choses culturelles, il va y avoir du bon et du moins bon. Mais statistiquement, plus il y aura de gens qui s’y mettront, plus il y aura de bons trucs aussi. Puis les gens rentrent toujours par un style musical par une porte plus grand public puis affine ensuite leurs goûts. Moi j’ai découvert le rap avec les Tortues Ninja. (rires) j’ai fait du chemin depuis !
VR.fr : Vous disiez d’ailleurs dans une interview récemment que c’étaient les jeux vidéo qui vous avaient initiés à la musique électronique…
Teki Latex : Ça a préparé le terrain oui. On cherche en musique des choses plutôt primales qui nous ont touché dans notre enfance, que ce soit la pop synthétique d’Eurythmics ou la musique de Super Mario. Ça c’était dans notre ADN, c’était normal que notre génération se soit tournée vers la musique électronique par la suite.
Orgasmic : C’est vrai qu’on a joué aux jeux-vidéos très jeune et qu’on a passé des heures et des heures, et que ça fait partie des sonorités qui depuis l’enfance sont vraiment ancrées dans notre culture et dans notre appréciation qu’on a de la musique. La musique de jeux vidéo ce n’est pas que la musique 8 bits, il y a encore de jeunes producteurs qui maintenant commencent sont aussi influencés par la musique de jeux vidéos, mais pas de la même manière, par Final Fantasy par exemple. C’est assez proche la façon de geeker et de faire de la musique chez soi.
« C’est assez proche le façon de geeker et de faire de la musique chez soi. »
Teki Latex : Les jeux vidéo aujourd’hui sont beaucoup plus acceptés comme un truc culturel majeur, il y a plus en plus de gens qui analysent les jeux vidéo comme on peut analyser les bouquins, le cinéma, la musique. C’est moins péjoratif de s’intéresser aux jeux vidéo. La musique de jeux vidéo est entrain de prendre de la valeur et de devenir quelque chose que les gens avouent avoir eu en tant qu’influence, même pour des musiciens très respectables.
VR.fr : Bon pour la dernière question on va faire dans le classique… Comment sera l’année 2016 pour Sound Pellegrino ?
Teki Latex : Ce sera une année chargée avec l’album éponyme de Matthias Zimmerman, plusieurs maxi de jeunes producteurs français et anglais… On en dit pas plus mais ce sera une année chargée avec probablement un Sound Pellegrino Vol.06 avant la fin d’année aussi… On en reparlera !