« Quand on te demandera qui tu préfères entre les Stones et les Beatles, dis que tu préfères les Kinks », me disait mon père. J’ai 15 ans, je découvre (plus en profondeur) ces deux groupes mythiques et dans mon esprit, il y a un camp à choisir. Bien que les Beatles soient clairement intégrés dans mon système depuis des années, je dois reconnaître que l’album Sticky Fingers a joué un rôle dans mes choix. Les Stones, c’est le rock brutal, animal et sexuel, celui qui a plus de gueule que le « I Wanna Hold Your Hand » un peu trop sage des Beatles. Pour ma défense, à cet âge là, on est pour toute forme de rébellion et le charisme hypnotisant de Mick Jagger a bien penché dans la balance. Pourtant, quelques années plus tard, il faut avouer que je suis incapable de choisir. Pourquoi le faudrait-il, au final ?
Lors du passage de Stones à Desert Trip la semaine dernière, le groupe a repris Come Together et pour en présenter les auteurs, il a parlé d’un « groupe inconnu ». Cette (gentille) pique lancée par le leader Jagger résume à peu près l’histoire de cette guerre sans fin entre les Stones et les Beatles. Ce qu’il faut savoir, c’est que tout les opposent au départ. Style, genre musical… c’est un peu le jour et la nuit. Pourtant, les parcours sont similaires : les deux groupes commencent en bas de l’échelle, en jouant dans des clubs et tous deux ont pu goûter au succès grâce à l’intervention d’attachés de presses géniaux et révolutionnaires. Très vite, la presse s’empare des phénomènes et s’amuse à les comparer. Pourtant, cette fameuse guerre n’est rien d’autre qu’une illusion, un effet spécial pour faire monter la température- ou presque.
Or, les plus connaisseurs savent qu’en 1963, les Beatles étaient dans les loges des Stones (bien avant leur médiatisation) pour les féliciter et le plus beau, c’est qu’il leur est arrivé de travailler ensemble. Vous y voyez une guerre, vous ? Parce que vu de notre fenêtre, il n’y a aucune rivalité ou animosité qui plane. Bien sûr, le monde du rock est impitoyable et l’histoire est bien plus complexe que ça – sauf que nous n’avons pas la place pour vous écrire un historique complet. Paul McCartney s’est d’ailleurs confié sur comment les Stones ont toujours tenté d’imiter les Beatles. Mais, peut-on leur en vouloir ? Comme l’a montré Eight Days a Week, ce qu’ont accompli les Beatles en moins d’une décennie est incroyable – n’importe qui voudrait goûter à ne serait-ce qu’un millième du succès qu’ils ont reçu. Sans parler du fait qu’ils étaient pionniers dans leur genre.
Si l’on part dans ce sens, bien sûr qu’ils ont été copiés. Mais peu à peu, les Stones ont su se créer une identité, nourrie par l’expérience. Mick Jagger dira un jour « Pourquoi on devrait se comparer avec les Beatles ? On n’a rien à voir, si vous préférez l’un ou l’autre, ce n’est pas à nous de le dire ». La vérité, c’est que ce sont les fans qui ont creusé cet écart, de la même façon que de nos jours, les réseaux sociaux sont inondés de guerres entre fanbases. La comparaison est audacieuse mais lorsqu’on y réfléchit bien, c’est comme dans le foot : l’OM et le PSG s’opposeront toujours parce que les supporters se font la guerre. Mais les joueurs, eux, sont bien au dessus de ça.
Au final, on ne peut pas choisir entre les Beatles et les Stones parce que même si les débuts sont similaires, la fin de l’histoire, elle, change. Jagger a mené sa bande loin et continue de tourner tandis que le destin des Beatles est un peu plus tragique. Musicalement parlant, la comparaison aussi est difficile. Alors je n’irai pas jusqu’à prendre la solution de facilité jadis soufflée par mon père et ne choisirai pas les Kinks. A la place, je me contenterai d’alterner Get back ! et Satisfaction, parce que la musique n’est pas supposée diviser. Tout ça pour dire que souvent, les guerres de groupes n’ont pas lieu d’être. Pour les guerres 2.0, nous pourrions vous citer Taylor Swift et Katy Perry, Taylor Swift et Kanye West.. bref, un éternel recommencement qui fait le bonheur des médias et.. des ventes.